vendredi 15 août 2014

#émotion - Lettre d'une paire de Jimmy Choo à sa détentrice berlino-parisienne

 "Juju,
Si je prends la peine de t’écrire, c’est que l’heure est grave, tu t’en doutes. Je ne te ferai pas l’affront littéraire de te dire que mon petit cœur saigne, qu’il me coûte de tremper douloureusement la pointe de mes talons dans l’encre de mes larmes (allez Baudelaire, à la niche) mais on en n’est pas loin. Et s’il te reste un peu d’estime de toi et d’amour pour moi, tu écouteras cette plainte, déclamée depuis la commode Ikea dans laquelle, ingrate, tu m’as définitivement abandonnée. Abandonnée, c’est le mot. Progressivement. Tout d’abord tu m’as imposé de nouveaux voisins, ces grolls ignobles trônant en chef sur les peutons berlinois. J’ai d’abord cru que tu te mettais au cirque, un numéro clownesque entre le freak show à venir d’American Horror Story et un retour à tes 12 ans. Et puis tu t’es mise à les porter de plus en plus régulièrement : soit le musée des horreurs marchait du tonnerre, soit quelque chose de plus grave se tramait dans ta vie. Dans les deux cas, j’étais soucieuse. Et puis tu as fini par ne plus me porter. 

Malgré la douleur que m’inflige ta perte, ô perfide, c’est pour toi tout d’abord que je m’inquiète. Parce que ce changement ne signifie qu’une chose à mon regard éploré : tu es lâche, tu es faible, tu es comme les autres, tu as capitulé. Certes, il a fallu te remettre de ce mensonge berlinois qui t’a fait croire qu’on ne te jugerait jamais – et surtout pas sur l’apparence – , que tout était trop cooooool man, et qu’ici-bas régnait sans partage la McDonald mood « venez comme vous êtes ». Ha ! Tu as rapidement réalisé que cette mascarade n’était que discrimination inversée (les aficionados du Berghain, s’ils descendaient 2 secondes de leur shetland, en témoigneraient) : la sophistication vestimentaire dans la capitale pauvre mais sexy est reléguée au même niveau que s’habiller chez Desigual à Paris: honte, enfer, damnation – et ramadan social –  éternels. Et donc, comme les autres, tu as cédé au chant des sirènes du mauvais goût berlinois (il y a la possibilité du thon dans la sirène, ne l’oublie pas). En fait non, tu as fait pire. Les berlinois allemands ont des tendances rigides sur tout accoutrement sortant de leur délire cosmonaute, mais leur phobie du conflit et leur nature anglo-saxonne no judging les rendent relativement ouverts d’esprit. Ils n’ont donc pas pu entrainer ta médiocre transformation. Non, bien plus affligeant, tu n’as pas cédé aux dires des autochtones, mais aux railleries pleines de ressentiment de tes congénères expatriés ! La Rchuma ma fille ! Si encore cette perdition stylistique avait été pour te fondre à la masse allemande dans une dynamique d'acculturation, à la limite… Mais à la masse des étrangers de Berlin, really ?


Depuis quand accordes-tu de l’importance au point de vue du hipster français international pour qui l’horizon vestimentaire se résume à des Converses, des bonnets péruviens à l'authenticité discutable (l'enfant esclave bangladais qui l'a fabriqué est lui, par contre, bien authentique) ou des débardeurs trop larges (et l’horizon de la soirée, s’écrouler sur une banquette du Sisyphos. Et l’horizon de la vie... l’ANPE) ? Quand est-ce que ce regard insupportablement dédaigneux porté sur tout ce qui est différent, cette pédanterie plus royaliste que le roi se résumant pour l’occasion à « avoir une coupe de cheveu encore plus naze et des vêtements encore plus pourris hipster que l’image fantasmée du berlinois de base » (fantasmée, parce que de VRAIS berlinois élevés au bon grain de Shöneberg, t’en as connu pas mal : il n'y en avait pas un qui en avait quoi que ce soit à foutre de son look. De toute façon ils étaient tous magnifiques naturellement... L'immanence de la beauté, pourquoi s’attarder sur le style ?) a-t-elle fini par t'atteindre? Quand as-tu cru que le hippisme hors de prix d’American Apparel ou des friperies de Bergmanstrasse était un truc décent à porter (à ce niveau au moins épargne ton porte monnaie, va chez Primark)? Au moment où te raser une partie de la tête est également apparu comme l’idée du siècle ? Comment en es-tu arrivée à tant de déchéance morale et vestimentaire ? 

Et au-delà de cette perdition, comment as-tu pu me faire ça à moi, cruelle? Est-ce que ces années de bons et loyaux services ne sont rien pour toi ? Moi qui pensais que l’oubli était l’apanage du masculin… Et pour quoi ? Pour des sneakers ! Nous avions tout fait ensemble, j’étais ta relation la plus durable, la plus stable : 2 fois chez le cordonnier en 5 ans (pas sûre que tu puisses en dire autant des losers qui remplissent ton dossier « amoures ». Il aurait fallu plus que deux séances de psy pour que ça fonctionne, crois-moi). Je t’avais accompagné fidèlement, bonne poire infaillible que j’étais, cédant à tous tes caprices, te permettant au passage de choper de la bombasse de compet' (oui, parce que sans moi tu fais petite maigrelette, qu'on se le dise. Avec le cul remonté de 10 cm, tes jambes filiformes ont quand même plus de gueule. Je te sublime, ma chérie). Je t'ai supporté, fière comme Artaban, aussi bien au VIP Room que sur l’électro du 6B. Le 6B meuf, merde ! J’ai même accepté ça pour toi ! Quoi ? Qu’entends-je ? Tu voulais « m’épargner » ? Mais crois-tu réellement, mécréante, qu’après des combos de la mort Concrete, Social Club, Machine et soirées 75021, le Kater, le PanoramaBar ou le Watergate, ces endroits branchouille à la musique molle allaient me faire peur ? J’aurais peut-être tiqué sur la cave du Trésor, ET ENCORE (ne me fais pas l’affront de me citer le Berghain : la levrette contre un mur des darkrooms passe nettement mieux perchée sur des échasses fancy. Classe & propre, t’es pas d’accord ?) ! J’étais là, avec toi, ton soutien, ton roc. J’ai fait Gesaffelstein, Asap Ferg, Bro Safari et 16bit moi madame ! J’aimerais bien savoir si tes sneakers peuvent en dire autant !

Sache que si tu me reviens – et tu me reviendras nécessairement, sombre connasse, au moins lors de ton retour à la mère patrie, quand tes vraies amies se seront raillées de toi et de ta dégaine de clocharde trop cooooool – mon courroux ne sera que modéré. Certes, tu souffriras quelques jours, tes pieds délicats transformés en sabots de poney sauvage des steppes de la lointaine Toundra en bavant sur le pavé hype parisien. Et oui, la féminité ça se travaille. Mais je ne me ferai boudeuse que momentanément, promis.

Je t’aime toujours, mais tu me fais mal au cœur. Appelle-moi. Reviens-moi. Surtout, reviens toi à toi même. On ira se la raconter sur Friedrichstrasse. A Dieu ne plaise que tu ne t'enlises dans ta relation adultère avec tes Converse.

Bisou

Signé : tes Jimmy Choo"

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